L'écume des jours au Théâtre Dejazet

Publié le par laure dasinieres

Livrer un hommage que ne renierait pas celui à qui on le rend tient de l'exercice audacieux et ardu...
Quant il s'agit de mettre pour cela en scène l'oeuvre phare d'un auteur à l'imaginaire aussi foisonnant que Boris Vian, cela tient pour le moins du projet casse-gueule...
C'est pourtant celui dans lequel s'est engagé le Collectif La Bouée sous la houlette de sa metteuse en scène, Béatrice De la Boulaye,  en adaptant au Théâtre Dejazet  L'Ecume des jours.
Et, il réussit, malgré quelques maladresses, à convaincre en composant une pièce qui, loin de faire une démonstration scolaire de tous les honneurs qui devraient être rendus au grantauteur, séduit par son inventivité et sa fraîcheur.

Surprenant, tel est d'emblée le mot qui nous vient lorsque le rideau se lève et que l'on découvre un décor cubique, plastique et multicolore, qui réserve une vue sur des coulisses figurés, "vestiaires" d'une part et espace "piano /bruitages" de l'autre.

Étonné presque déconcerté, face au surgissement des comédiens vêtus d'académiques/maillots de bains pour se vêtir devant nous de costumes en mousse façon patrons de mode pour poupées Playmo.

Comédiens,tantôt narrateurs qui nous lisent en apparté des extraits du texte, tantôt acteurs investis dans un jeu qui tient autant de l'interprétation que de l'improvisation.
On trouve d'abord le dispositif un peu brouillon, il nous semble que cela sonne un peu faux et puis, très vite, on se laisse emporter par la ludique fantaisie distillée.
Sans doute, le phrasé, rapide, spontané, ne permet-il pas de jouir de tous les jeux de mots imagés que contient le texte original, mais adaptation n'est pas lecture et fidélité absolue eût été fastidieuse.

Ainsi donc, on rentre dans l'histoire de Colin, Colin qui veut être amoureux comme l'est son ami Chick, Colin qui mène une insouciante vie de patachon, entre fêtes et festivités, sorties et repas servis par son cuisinier Nicolas.

Un Colin efficacement et zébulonnement interprété par Romain Vissol, excellent tant dans le registre de la feintise du snobisme que dans celui du naturel, puis plus tard du désespoir.
 
Colin rencontre Chloé..., épouse Chloé.  Et c'est le début de la fin. La fin de la frivolité, la perte des illusions,  la fin de l'adolescence peut-être, Chloé tombe malade, un nénuphar dans le poumon...
Toute l'intelligence de la pièce est de clairement, et pourtant subtilement, faire la distinction entre ces différentes parties, fantaisie et superficialité d'abord, gravité et angoisse, ensuite, en gardant toujours une cohérence dans l'absurde et le décalage.

La "rupture" entre ces deux étapes que marque le mariage de nos deux amants est finement rendue par une projection vidéo cartoonesque sur une bulle gonflée.

L'écume des jours est une comédie dramatique, et ça, Béatrice de la Boulaye l'a clairement saisi et sait faire monter la tension et l'anxiété jusqu'à la terrible fin.
La seconde partie laisse place la réalité du monde, parvient créer progressivement un climat inquiétant, étouffant,  sinistre, où montent la folie et la prise de conscience.
De l'extravagance et de la frivolité mondaines, le jeu des acteurs se meut en sobriété émouvante, le décor lui-même change, mouvant, les couleurs disparaissent pour laisser place à cette bulle qui grossit à mesure que l'état de santé de Chloé s'aggrave.


L'univers de Vian, c'est aussi et beaucoup, le jazz dans sous ces facettes des plus entraînantes aux plus mélancoliques, et le piano et les arrangements joués en live savent joliment accompagner tout du long le fil de l'histoire.
Le sonore a d'ailleurs une place primordiale dans l'efficacité de la pièce, tous les bruitages et les effets sont réalisés sur scène, à l'image, par exemple,  des crises de toux de Chloé rendues par des déchirements de tissus.


La Compagnie la Bouée réussi ainsi le tour de force de rendre un hommage singulier, vivant, vivifiant et contemporain à Vian et révèle une jeune troupe vibrillonnante et pleine d'avenir.
On applaudit des deux mains.







Publié dans Scènes

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