Bascule au Théâtre de l'Essaïon

Publié le par laure dasinieres

Huis clos de deux personnages que tout oppose, pièce schizophrène oscillant sans cesse entre rire maniaque et sentiment d'oppression, Bascule au Théâtre de l'Essaïon jusqu'au 7 avril, confond et trouble par une tonalité instable et interrogatrice... Sur le fil...


Pleine nuit.
Une chambre d'hôtes dépouillée et sombre.
Deux lits de camps.
L'un est occupé par un ronfleur. 
Dimitri, que l'on sent épuisé par une soirée de transports, les nerfs à vif,  a loué l'autre lit,vide,  pour y passer une courte nuit avant un rendez vous professionnel.
Le ronfleur se réveille. Il appelle un absent, Pablo... Il engage la conversation et se révèle être attaché à sa couche.
Bien sûr, il exhorte Dimitri de le libérer.
Froid, nerveux, d'avance exaspéré, Dimitri refuse. Il DOIT dormir, ne veut se mêler de RIEN.
Il pressent sans doute que le moindre échange, le moindre geste ne serait pas sans conséquence sur sa vie bien rangée, maîtrisée, assurée.
Mais l'inconnu, Max,  est bavard, malin, persuasif et narquois.
Jovialement au bord de l'aliénation, il ne se résignera pas et finira par convaincre son voisin de lit non seulement de le défaire de ses liens mais aussi et surtout de renoncer à ses quelques heures de sommeil,  sans doute parce qu'il a l'art et la manière de lui renvoyer ses angoisses et ses névroses.
Les lumières s'allument et c'est un tête à tête étrange s'engage, plus Max questionne, plus Dimitri se ferme, résiste.
Max le travaille au corps, aux mots, l'enjoint à sonder le sens de son existence. Et, c'est dans un climat dominé par des sensations d'angoisse, de violence et de folie, où planent la mort, la détresse et l'effroi, que Dimitri va  peu à peu céder pour finir, dans un épilogue halluciné, à se révéler à lui-même.

Les deux acteurs donnent brillamment corps et de façon radicale à cette pièce forte et déroutante, elle même portée par le texte urgent et détonnant de Pierre Vignes.
Jérémy Malkhior, que l'on connaît pour ses shows savoureusement provocateurs au sein de collectif animal_chic change ici singulièrement de registre pour camper avec talent le personnage de Dimitri, glacial et hostile dominé par un incessant auto-contrôle, par la retenue, l'énervement maîtrisé et cachant des désordres intimes profonds.
Clément Rouault endosse avec autant de bonhommie, de truculence et d'énergie que de tact mais aussi d'une certaine folie le rôle de Max.
Et, tant la mise en scène que les costumes et le décor parviennent avec intelligence et sobriété à transmettre cette opposition dans la proximité forcée qui noue les deux.
Les différentes étapes de la pièce sont marquées à la fois par des jeux de lumières et par une "musique" faite de voix, d'échos, d'un fredonnement qui se fait cri, primale et organique.
Petit à petit l'angoisse monte et les rires du début se taisent.

Bascule prend un malin plaisir à désorienter le spectateur pour l'emmener sur des voies tortueuses, le saisit et le captive.




Bascule
Texte de Pierre Vignes
Mise en scène Camille Pawlotsky
Avec Jérémy Malkhior et Clément Rouault
Assistanat à la mise en scène Bruno Laurec
Scénographie Marion Thelma
Costumes Louise-Alice Véret
Musique Arnaud Jollet
Lumières Eric Valero
Maquillage Lucky Nguyen
Produit par La Fabrique des Petits Hasards, Production Store et Animal Chic.
Au Théâtre de l'Essaïon 6 rue Pierre au Lard 75004 Les lundi et mardi à 21h30 jusqu'au 7 avril

Publié dans Scènes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article